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Lumière sur… Le drame des scouts rennaises en 1947

LES ARCHIVES MUNICIPALES DE LÈGE-CAP FERRET ONT POUR VOCATION DE CONSERVER LES ARCHIVES PUBLIQUES, MAIS AUSSI DES DOCUMENTS PRIVÉS, UNIQUES ET PARFOIS PERSONNELS. TOUS LES MOIS, DÉCOUVREZ UN DOCUMENT INÉDIT SUR VOTRE COMMUNE ! PAR SON INTÉRÊT HISTORIQUE, SON ASPECT ESTHÉTIQUE, OU SON ORIGINALITÉ, CE DOCUMENT TÉMOIGNE DE LA MÉMOIRE LOCALE.

En juillet 2019, nous avions consacré l’archive du mois à la surveillance des plages, que ce soit du côté Bassin que du côté Océan. Certes, le Bassin d’Arcachon ne connaît pas le phénomène de baïnes que l’on retrouve sur les plages océanes, mais il peut également se révéler dangereux. Les fonds vaseux et la marée montante sont autant de pièges potentiellement mortels.

C’est ce qui est malheureusement arrivé à onze jeunes filles, des Scouts originaires de Rennes, en juillet 1947. Encerclées par l’eau, elles périssent toutes en quelques minutes près de Piclaouey.

Le récit de la tragédie

Cet été 1947, une trentaine de Guides de France, parties de Rennes, passent leurs vacances à Claouey. Elles campent dans la propriété du Docteur Templier.

Quelques jours après leur arrivée, le 21 juillet, une partie d’entre elles décide d’aller se promener à marée basse. Les jeunes filles empruntent le chenal accessible pour aller de Piclaouey au Petit Piquey. La fin d’après-midi se déroule sans encombre.

Une heure plus tard, c’est la panique. Les fillettes ne se sont pas aperçues que la marée montait. Le chemin du retour, auparavant laissé à découvert, est désormais envahi par l’eau. Les chenaux débordent et ceux permettant d’accéder à la rive sont inaccessibles.

Mme Chabrat, de Bordeaux, en villégiature dans sa villa de Claouey, est le témoin de la tragédie. Elle tente de leur porter secours :

« Il était environ 17 heures 30 dit-elle, quand du jardin de ma villa qui borde le bassin, j’aperçus les jeunes filles du groupement partir pour la baignade. Plus d’une heure s’était déjà écoulée et le groupe qui s’était aventuré à la pointe du banc n’était pas revenu. Je pris mon embarcation et me dirigeais vers le lieu où se trouvaient les adolescentes. Là, un affreux spectacle s’offrit à mes yeux. Une grappe de fillettes, accrochées les unes aux autres, flottait entre deux eaux. Une enfant à bout de souffle essayait désespérément de se maintenir à la surface. Je m’approchais de cette dernière et après bien des efforts, je parvins à la hisser à bord de ma barque. Je devais en ramener sept à terre.
Malheureusement malgré tous les soins prodigués tant par la population que par les docteurs appelés en hâte, six des victimes, ne purent être ramenées à la vie. »

Trois jeunes filles ramenées à terre sont emmenées à la maison de santé d’Arès. L’état de l’une d’elles est grave. Ce seront les seules survivantes : Michèle Boguais, Christiane Lovil et Annette Bougié. L’une d’entre elles témoigne :

« Nous étions partis joyeusement en bande alors que la mer était basse vers la pointe de Claouey. Nous cherchions des coquillages et des petits poissons avec nos filets sans nous préoccuper de l’heure du retour.
Tout à coup, nous aperçûmes l’eau qui recouvrait déjà une partie du sable.
Après de nombreux efforts, deux de mes petites camarades et moi parvenions à nous hisser sur un rocher. De là, nous assistâmes à la disparition dans la mer de nos camarades.
Ce fut effrayant, jamais je n’oublierai les appels désespérés de nos camarades qui, folles de terreur, faisaient des efforts surhumains pour tenter de reprendre pied. Certaines nagèrent un peu pendant un moment, mais leurs forces faiblirent et elles disparurent, entraînées par les vagues.
Bientôt des pêcheurs arrivèrent et parvinrent à nous retirer de notre position, alors que la mer nous atteignait déjà.
De retour au port, on s’efforça de pratiquer les soins aux noyés, à nos amies, mais il était trop tard : elles étaient mortes. »

Onze jeunes filles, entre 12 et 17 ans, décèdent malgré l’intervention des médecins :

  • Claudine Duteil, 15 ans
  • Maryvonne Février, 14 ans
  • Marie-Claire Million
  • Colette Cosnier, 12 ans
  • Maryvonne Richard, 14 ans
  • Jacqueline Mével, 17 ans
  • Monique Fritz, 15 ans
  • Jeanne Le Gall, 15 ans
  • Marie-Thérèse Digo, 15 ans
  • Marie-Thérèse Mortier, 15 ans
  • Michèle Desprès, 14 ans

Le corps de la petite Michèle Desprès n’est retrouvé que le lendemain.

En 1950, l’abbé rennais Pierre Simonneaux publie Jacqueline, guide de France, une biographie sur la vie de Jacqueline Mevel, chef de l’équipe des Cigognes à la compagnie 4° Rennes, militante à la Jeunesse étudiante chrétienne féminine (JECF).

Photographie extraite de l’hebdomadaire A la page du 23 février 1950 (Gallica)

 

Les 22 autres Guides qui ont assisté au drame depuis le rivage sont renvoyées le soir même dans leurs familles. Les corps des petites victimes sont transportés à la mairie de Lège où une chapelle ardente a été aménagée. Les dix cercueils recouverts de draps blancs disparaissent sous les bouquets de fleurs offerts par la population.

Les corps seront transportés dans un car spécialement affrété par la préfecture d’Ille-et-Vilaine. A Rennes, la levée des corps a lieu au pensionnat Sainte-Geneviève, puis le cortège funèbre se dirige vers la cathédrale. Les chars funèbres, recouverts de couronnes de fleurs blanches, sont précédés de délégations de scoutes et de guides de France. De nombreuses personnalité civiles et militaires sont présentes. L’émotion est grande, c’est toute la ville qui s’est réunie pour dire un dernier adieu aux enfants du pays.

Le lendemain, le général de Gaulle, en visite dans la ville, rend hommage aux jeunes filles disparues.

Les interrogations sur la prévention

Ce drame épouvantable relance la question de la sécurité et de la prévention des baignades. Le journal L’Aurore est particulièrement virulent. La une du 23 juillet 1947 titre « Il faut que les surveillants de colonies d’enfants se souviennent que ce sont les gosses et non eux-mêmes qui sont en vacances ». Les propos, assez durs et sans aucune concession, pointe la responsabilité des surveillants des colonies de vacances :

« Bien des parents sont réticents pour envoyer leurs enfants en colonie.
Ils pensent que des étrangers ne sauront pas, comme eux-mêmes, défendre les gosses contre tous les dangers de l’eau ou de la montagne.
Ils ont à la fois raison et tort.
Raison car certains surveillants de colonies oublient trop facilement QUE CE NE SONT PAS EUX-MÊMES QUI SONT EN VACANCES, MAIS LES BAMBINS DONT ILS ONT LA CHARGE.
Tort, parce que les parents s’insurgent parfois lorsque leurs enfants ont à subir une discipline trop rude, en vacances.
On voit pourtant que cela est nécessaire. Il faut donc que les surveillants de colonies soient irréprochables, qu’ils sachent commander. Mais aussi qu’ils aient la possibilité de se faire obéir.
Il faut que les surveillants sachent, quoiqu’ils en aient, refuser catégoriquement une promenade en bateau, une baignade ou une excursion, même si cela doit chagriner les enfants, lorsqu’ils ne sont pas assurés de TOTALES garanties de sécurité.
Il vaut parfois mieux faire pleurer des gosses quelques minutes, que d’avoir à les pleurer toute une vie. »

Le lendemain, à la suite d’une nouvelle noyade d’enfants d’une colonie de vacances dans le Pas-de-Calais, L’Aurore dénonce cette fois le manque de prévention de la part des autorités :

« Des premiers rapports qui sont parvenus à Paris, il semble qu’à Claouey l’on n’ait pas attiré l’attention des jeunes maîtres sur les dangers présentés par le bassin, lorsque la mer monte…
Le bassin d’Arcachon, qui a une cinquantaine de kilomètres de tour, ne compte que deux ou trois gardes maritimes relevant du Secrétariat d’Etat à la Marine marchande.
Ces gardes, nous a-t-on dit à la Marine marchande, auraient tout au plus à intervenir pour constater le bon état des barques de sauvetage…
Il est ben permis de se demander pourquoi la municipalité de Claouey n’a pas avisé les moniteurs des malheureuses fillettes des dangers du bassin d’Arcachon et du péril qu’elles pouvaient encourir ?
On peut, du reste, s’étonner à bon droit que les municipalités des plages des baies dangereuses : celles de la Somme, du Mont-Saint-Michel et d’Arcachon ne signalent pas par des écriteaux les endroits où les baigneurs ne sont plus en sécurité.
Serait-ce, par ailleurs, trop exiger des directeurs des colonies de vacances en leur demandant de se mettre en rapport, dès leur arrivée sur une plage, avec la municipalité de cette dernière ? »

Votre histoire, notre mémoire

“Les souvenirs d’un homme constituent sa propre bibliothèque.”
Aldous Huxley, écrivain anglais (1894-1963)

Si vous avez des documents sur ce drame (ou sur d’autres tragédies), n’hésitez pas à nous contacter ! Vos souvenirs nous permettront de mieux faire connaître l’histoire de notre commune.

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79 avenue de la Mairie, Lège bourg
archives.ad@legecapferret.fr
05.57.17.07.80

Sources et références

Les Archives municipales de Lège-Cap Ferret :

  • Etat-Civil de la commune de Lège
  • Fonds Luc Dupuyoo

Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF :

  • A la page : l’hebdomadaire des jeunes, 23 février 1950

RetroNews, le site de presse ancienne de la BnF :

  • La Gazette provençale, 23 juillet 1947
  • France-Soir, 23 juillet 1947
  • L’Aurore, 23 juillet 1947
  • L’Aurore, 24 juillet 1947

 

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