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Lumière sur… La villa Les Hirondelles

LES ARCHIVES MUNICIPALES DE LÈGE-CAP FERRET ONT POUR VOCATION DE CONSERVER LES ARCHIVES PUBLIQUES, MAIS AUSSI DES DOCUMENTS PRIVÉS, UNIQUES ET PARFOIS PERSONNELS. TOUS LES MOIS, DÉCOUVREZ UN DOCUMENT INÉDIT SUR VOTRE COMMUNE ! PAR SON INTÉRÊT HISTORIQUE, SON ASPECT ESTHÉTIQUE, OU SON ORIGINALITÉ, CE DOCUMENT TÉMOIGNE DE LA MÉMOIRE LOCALE.

Dans le village de Grand Piquey, se dresse au bord du Bassin d’Arcachon la villa Les Hirondelles. Portant fièrement ses 140 ans d’existence, elle appartenait à de grandes familles de notables, les Lesca puis les Auschitzky. 

Au siècle dernier, les marchands ambulants cheminaient le long des plages du Bassin pour vendre leurs produits jusqu’au bout du Cap Ferret. Vous pourrez lire leurs histoires dans la prochaine revue municipale Presqu’île, à paraître en octobre.

Les Lesca

La villa Les Hirondelles fut édifiée vers 1880 par Frédéric Lesca, le frère de Léon Lesca, propriétaire de la Villa Algérienne. Il exploitait une usine de résineux à La Teste.

« Imaginez ce qu’était la villa :
Un parc de deux hectares avec, plantée au centre, une imposante pâtisserie 1900, toute en briques roses et pierres de taille, aux terrasses, volets et balcons peints dans le rouge basque si prisé à l’époque. Un « château » qui aurait mieux été situé dans les vignobles du Médoc ou sur les rives de la Dordogne, mais il avait été imaginé par les Lesca pour affirmer leur puissance. »

L’imposante bâtisse se distinguait par son impressionnante toiture percée d’œils-de-bœuf et ornée de hauts épis de faîtage et de lambrequins dentelés.

Grand Piquey – Villa Les Hirondelles (fonds François Bisch, Archives municipales de Lège-Cap Ferret)

A la mort de Frédéric Lesca, la villa devint la propriété de sa fille, Berthe Rolland. N’ayant pas d’enfant, elle la légua à son neveu, André Lesca, qui par la suite la vendit à la famille Auschitzky en juillet 1932.

Les Auschitzky

Les Auschitzky se rendaient à Piquey dès les beaux jours. Un trajet digne d’une véritable expédition, la route n’étant pas achevée, comme le raconte Hubert Auschitzky : 

« Il fallait rouler tantôt dans le sable, parfois sur des billes de pin. L’auto grinçait, le moteur crachait, un pneu crevait et Pierre, le chauffeur, s’activait en suant. Nos séjours étaient annoncés par tout un jeu de flammes (bleu et jaune pour mon grand-père, noir et rouge pour papa, bleu et blanc pour Jean Courtois, etc.) hissées au mât, afin que nul n’ignore leur présence. »

Quelques-uns de leurs domestiques les avaient précédés, voyageant par le train d’Arcachon puis par le « Courrier du Cap » : 

« Ce personnel était complété, sur place, par Eugène Larzet qui faisait office de jardinier. Il sentait réellement fort : un mélange de vinasse, de poisson avarié et de sueur. Sa femme servait de gardienne, mais je ne l’imagine pas affrontant un rôdeur. Elle était minuscule de taille et d’une timidité affligeante. Ils s’installèrent, à l’heure de la retraite, à deux pas de la villa, au village des pêcheurs, dans une cabane en rondins enduits de coltar. Elle nous portait souvent des pots de gelée d’arbouse.
Ce ménage fut remplacé par les Cacail : René, sa femme Henriette, et leur fils Francis, dont Christian est le parrain. Cacail était notre marin, par la suite il est devenu facteur, d’abord au Canon, puis quand ils eurent quitté le Bassin à Frontenac (Gironde). Dans ce métier on a souvent l’occasion de lever le coude. Parfois, après une tournée trop arrosée, il se couchait dans un fossé pour cuver en paix, à moins que trop pété, il ne s’étala sur la route avant de terminer son travail. Sa femme, folle d’inquiétude, s’est souvent confiée à Christian pour lequel elle avait beaucoup d’admiration. Il était, pour ces gens pittoresques, le « mousse ». Longtemps après Piquey, mon frère est resté en rapport avec eux. […] J’allais oublier de vous parler de notre fidèle compagne, « Annette-Pipette », une ânesse dont Mademoiselle Furet, l’institutrice des Courtois, était responsable. C’est elle qui l’attelait à la petite charrette anglaise et qui nous emmenait en promenade sur la route nationale. »

Les Hirondelles jouissaient de près de cent mètres de plage privative jalousement gardés par leurs propriétaires :

« Une plage qui n’était partagée par aucun étranger sauf, une fois par semaine, le jeudi, par le vieux et sa mule, tous deux précédés du tintement d’une clochette, qui venait livrer, pour un sou, le pastis (gâteau landais), aux « messieurs et demoiselle Auschitzky et à leurs cousins, s’ils avaient été sages », ce dont, commerce oblige il ne doutait pas.
La vue panoramique, sur le Bassin, avait été gênée, le premier été, au loin et sur la droite, par la présence d’une habitation à un étage située dans le village des pêcheurs. Notre aïeul n’en voulait pas. Il fit donc un procès qu’il gagna, la construction fut étêtée et il se brouilla avec ses voisins d’en face. »

La villa était tout aussi luxueuse que l’hôtel bordelais que la famille possédait rue Ferrère :

« Elle était abondamment meublée et toutes ses pièces étaient continuellement cirées et bichonnées car la moindre souillure, comme un peu de sable ou une empreinte de pied mouillé dans un salon, pouvait déclencher une colère violente de mon grand-père.
L’étiquette voulait que les hommes y soient en cravate et veston. Pour les repas, les femmes venaient en robe et bas. Les collants n’étaient pas inventés et il faisait trop chaud, paraît-il, pour supporter des porte-jarretelles. En descendant de leurs appartements tante Martha et maman étaient impeccables. Passant à table, parfois leurs bas boudinaient en chaussette. Au moment du café, en socquettes. »

Guy de Pierrefeux

Il est un membre de la famille Auschitzky bien connu du monde littéraire : Daniel Auschitzky (1864-1937), journaliste et écrivain, signant sous le nom de plume « Guy de Pierrefeux ». Il fréquentait les hommes de lettres de son époque à la fameuse « auberge littéraire » comme il aimait appeler l’Hôtel Chantecler de Grand Piquey. Il a d’ailleurs laissé un message dans le livre d’or : 

« En attendant la plaque qui rappellera que c’est à l’hôtel Chantecler que Radiguet écrivit « Le Diable au corps » sous la garde fraternelle de Cocteau, que Pierre Benoît, Carco, Claude Farrère, Frondaie y séjournèrent, je déclare que Madame Dourthe est bien l’hôtesse digne de recevoir de tels hôtes.
Guy de Pierrefeux
Villa des Hirondelles
Piquey juillet 1932 »

Autographe de Guy de Pierrefeux dans le livre d’or de l’Hôtel Chantecler, 1932 (Archives municipales de Lège-Cap Ferret)

Oncle Daniel était très attendu à la villa familiale. Grand, dégingandé, arborant une barbiche poivre et sel, il était amateur de bonnes blagues et sa famille ne manquait pas de lui en faire à son tour :

« Une fois, tante Martha, très sérieusement, lui a dit qu’elle croyait la villa hantée. Au milieu de la nuit, les meubles de sa chambre se sont mis à bouger, puis à valser. Ils étaient manœuvrés de l’extérieur de la pièce par des ficelles peu visibles. Une autre fois, c’était un seau d’eau, en équilibre sur une porte, qui lui est tombé dessus. Ou encore – là, il eut très peur – il a fait pipi bleu. Il voulait faire venir un médecin, peut-être même un prêtre car il avait lu que ce drame annonçait la mort (c’était tout simplement le résultat d’un peu de bleu de méthylène que mon grand-père avait réussi à lui faire absorber) … Il y en eu d’autres pas toujours très fines mais percutantes car elles s’adressaient à un connaisseur. »

Seconde guerre mondiale

Le 2 décembre 1942, une cinquantaine de soldats allemands s’installèrent aux Hirondelles.

« Et puis un jour, un Kradmelder vêtu d’un imperméable trop long, coiffé d’un casque et de lunettes de motard, s’est mis en travers de la route nationale et a dévié la circulation sur l’allée menant à la villa.
A cet instant précis, notre bonheur s’est écroulé.
Des tanks, des automitrailleuses, d’autres véhicules blindés, des soldats « vert-de-gris » entassés dans leurs camions ont déferlé dans le parc. Un gradé allemand, pas trop poli, est venu trouver mon grand-père et lui a dit que la villa était réquisitionnée.
Pendant plusieurs années elle servit de casernes aux blindés du Mur de l’Atlantique, puis de campement pour des prisonniers indiens. »

A la Libération, la famille Auschitzky retrouva la villa en piteux état :

« seuls les murs tenaient encore le coup. Plus de plancher, il a brûlé. Plus d’électricité, les câbles ont été utilisés pour pendre le linge ou pour ficeler les colis. Plus d’eau, la tuyauterie a gelé et le sanitaire a été emporté. La villa est vide. Plus tard, nous retrouverons quelques meubles chez des habitants du pays. Nous le constaterons désolés, mais nous n’aurons pas la possibilité de les récupérer.
La famille était trop attachée à cette villa, et à ses souvenirs, pour l’abandonner. Elle tentera de la restaurer mais c’était une folie. Cette erreur coûteuse sera lourde de conséquences. »

La villa fut vendue. Entre 1968 et 1972, elle perdit son toit si particulier.

Grand Piquey – La Villa Les Hirondelles (fonds Luc Dupuyoo, Archives municipales de Lège-Cap Ferret)

En décembre 2018, la villa a été le lieu de tournage du téléfilm « L’Héritage » réalisé par Laurent Dussaux. Cette intrigue policière sur fond d’ostréiculture et d’immobilier a été diffusée le samedi 5 octobre 2019 sur France 3.

Note : Toutes les citations, à l’exception du message dans le livre d’or de l’Hôtel Chantecler, sont extraites des mémoires d’Hubert Auschitzky, parues initialement dans le journal Sud Ouest des 14 et 16 août 1993.

Votre histoire, notre mémoire

“Les souvenirs d’un homme constituent sa propre bibliothèque.”
Aldous Huxley, écrivain anglais (1894-1963)

Si vous avez des cartes postales ou des photographies sur la villa Les Hirondelles (ou d’autres villas anciennes) à faire partager, n’hésitez pas à nous contacter ! Vos souvenirs nous permettront de mieux faire connaître l’histoire de notre commune.

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Service des archives
79 avenue de la Mairie, Lège bourg
archives.ad@legecapferret.fr
05.57.17.07.80

Sources et références

Les Archives municipales de Lège-Cap Ferret :

  • Livre d’or de l’Hôtel Chantecler
  • Fonds Françoise Pinguet
  • Fonds François Bisch
  • Fonds Luc Dupuyoo

Retrouvez toutes les cartes postales de François Bisch sur son site.

Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF :

  • L’Avenir d’Arcachon, 20 juillet 1902

Site de Bertrand Auschitsky :

 

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